dimanche 30 novembre 2008

Interview de Pierre Zarka réalisé par le site le POIREAU ROUGE

Exccellente interview, avec nottament un positionnement interessant sur la question des discriminations. Bien entendu ce dernier ne se mouille pas trop en parlant du droit de vote des immigrés, de la même façon il fait l'impasse sur la question de l'islamophobie, mais bon, à suivre...Surtout que l'on connait les discussions actuelles entre des groupes des plus laics tels que le PDG, avec des franges l'altermondialisme ayant fait la campagne de Bové (donc ouvert sur les questions de multiculturalisme), des gens du NPA et des franges des Verts à travers ZEP. Nous produirons d'ailleurs prochainement une analyse sur ces échanges et les positionnements des uns et des autres.

Bonne lecture et merci au site le Poireau Rouge http://le-poireau-rouge.blogspot.com/

Interview de Pierre Zarka de l'Association des Communistes Unitaires
EXCLUSIVITE DU POIREAU ROUGE POUR l'ASSOCIATION MARXISTES UNITAIRESLe Poireau Rouge a interviewé pour Marxistes Unitaires Pierre Zarka, un des animateurs de l’Association des Communistes Unitaires. Pierre est un des communistes français les plus connus. Il habite Saint-Denis. Après une longue carrière au sein de l’appareil du Parti communiste français, il a démissionné de l’exécutif au moment de l’échec des candidatures unitaires en 2006.

Bonjour. Peux-tu commencer par décrire un peu ton parcours ?
Paradoxalement je suis un produit de l’appareil. J’ai été secrétaire de la Jeunesse Communiste, permanent dans la fédération du 93 du PCF, brièvement député, secrétaire à l’organisation puis directeur de l’Humanité jusqu’à m’en faire « virer » en 2000.Même à la JC j’avais senti qu’il y avait quelque chose d’inadéquat entre le comportement officiel du PC et la nouvelle génération, mais je n’ai pas tiré toutes les conclusions à l’époque. Puis à la fin des années 1980 il y a eu le mouvement des rénovateurs communistes, que j’ai même combattus pour deux raisons. Je pensais que le parti pouvait se corriger et j’avais du mal à saisir leurs intentions – parce qu’ils n’étaient pas tous du même avis – vis-à-vis du PS. Après, mon passage à l’Huma m’a conduit à considérer que l’appareil n’était pas synonyme de communisme – je relativisais le caractère ‘outil’ par rapport à la finalité – je ne confondais pas la fin et les moyens. Il y a eu aussi le mouvement de novembre-décembre 1995. Ceux qu’on appelait les refondateurs et moi nous nous sommes progressivement rapprochés jusqu’à nous retrouver y compris sur la question du rôle de l’Humanité : outil de propagande ou journal ouvert à la gauche critique pour construire le communisme à partir des confrontations d’idées.

Et à quel moment apparaissent les Communistes Unitaires ?
En 2000 – 2002, je me suis donc retrouvé près de ce qui s’est transformé en « refondateurs » (du communisme) qui avaient commencé avant, et nous avons continué le combat à la fois pour une refonte profonde du parti et une refonte d’un rassemblement anticapitaliste à la gauche du PS. En 2003 j’ai participé à la création du mouvement Alternative Citoyenne en Île-de-France et nous avons quasiment imposé au PC une liste commune. Il y a même eu un moment cocasse quand j’ai participé à une délégation d’AC auprès du PC. Le PC me trouvait donc en face d’eux !Après le referendum de 2005 nous avons commencé un processus pour tenter d’obtenir une candidature anticapitaliste unitaire pour la présidentielle de 2007. Les autres partenaires ont alors commencé à nous qualifier de communistes ‘unitaires’ – ce n’est pas nous qui avons inventé le nom. Lorsque cela a échoué nous avons décide de créer une association communiste non comme courant interne mais avec des membres du PC, des anciens membres et des gens qui étaient attachés au principe du communisme sans avoir adhéré au parti.Personnellement, je suis toujours membre du PCF – j’ai même mon bureau Place Colonel Fabien – et cela doit être le cas de 30 ou 40% de nos membres. La tendance est plutôt à quitter le parti. Ceux qui restent le font pour ne pas nous couper de militants communistes que nous souhaitons entraîner avec nous. Nous avons pensé un temps que l’appareil pouvait changer par la convergence d’efforts venant de l’extérieur et de l’intérieur, mais nous ne le pensons plus : il n’est pas réformable.

Pourquoi n’avez-vous pas déposé une motion pour le congrès du PC ? Avez-vous renoncé au combat politique dans le parti ?
Au contraire. Nous avons voulu ouvrir une crise qui dévalorise le comportement de la direction dans la préparation du congrès. En juin 2008, nous avons proposé un processus de discussion qui aurait permis aux militants de comparer les positions des quatre ou cinq courants du parti sur les trois questions principales : qu’est-ce qu’on fait du communisme, quelle stratégie de rassemblement, et quelle sorte d’organisation devons-nous construire ? Cela nous a été refusé. Nous nous retrouvons avec le texte appelé ‘base commune’ qui est devenu le texte d’une tendance – celle regroupée autour de Marie-George Buffet – et on nous a dit « Faites un texte alternatif ». D’un côté il y a le texte officiel qui a la bénédiction des dieux, et face à cela on nous demande de jouer l’opposition de Sa Majesté. Nous avons refusé de jouer le jeu. Nous faisons circuler des textes, mais nous refusons de faire un texte alternatif parce que ce congrès est un faux congrès.Alors, il faut savoir que le texte officiel représente finalement environ 26% des membres. La majorité des membres s’est abstenue ou a refusé de voter. C’est la première fois que cela arrive dans l’histoire du PCF. Nous sommes en pleine crise ouverte et nous voulons que cela soit mis au grand jour pour tous les communistes. Franchement, le PC n’est plus l’ombre de lui-même. Il perd des forces numériques. La majorité de ceux qui restent sont démotivés et ils ne militent plus guère. Les structures sont en train de se déliter.On a à la tête du parti une tendance (ce n’est pas péjoratif de ma part mais elle ne veut pas le reconnaître) – qui cherche à s’allier d’ailleurs avec le courant le plus rétrograde du parti, celle qui lorgne vers le passé – qui est tellement raide, tellement étroite, qui tourne le dos à toutes les forces qui sont en mouvement dans le pays, qui régulièrement quand il lui faut un ballon d’oxygène se tourne vers le PS. Elle est complètement fermée dans une logique institutionnelle qui finit par nous dévorer.

Mais allez-vous quand même intervenir au congrès ?
Oui, bien sûr. Autant nous avons voulu jeter la lumière et dévaloriser ce congrès, autant dès qu’il y a du monde quelque part nous y allons pour nous expliquer et tenter de convaincre ceux qui peuvent l’être.

Que dis-tu à ceux, des jeunes révolutionnaires par exemple, qui ont l’impression que les Communistes Unitaires, avec leur implication dans les institutions, ont des tendances, disons, sociale-démocrates ?
Je comprends ta question. Je trouve en vérité qu’il y a besoin d’un immense travail pour redéfinir ce que c’est la révolution. Quand on regarde, on voit ce qui est advenu de l’Union soviétique. Puis d’une part, la stratégie du PC l’a conduit à s’enliser dans les institutions, mais d’autre part celle de la LCR l’a conduite à éluder le problème institutionnel et de se contenter d’une politique protestataire sans se poser autrement que comme une vague perspective abstraite le problème du pouvoir. Mon problème n’est pas d’ « aller au pouvoir » mais de définir une nouvelle conception du « mouvement populaire » (le terme est délibérément flou) qui investit les institutions en créant un nouveau rapport entre élus et citoyens, qui fait qu’on ne se contente pas de donner un mandat une fois pour toute et ensuite de constater qu’on n’est pas content et qui transforme les mouvements progressivement en mouvements producteurs de politique et de pouvoirs. La dissociation du social et du politique est un problème qu’il nous faut absolument résoudre. Marx avait posé cette question de fait avec la création de la 1ère Internationale. Nous sommes depuis la 2nde Internationale, y compris depuis Lénine, sur une espèce de dissociation qui est mortifère.Je peux donner plusieurs exemples. En 1995 il y a un grand mouvement social, puis deux ans plus tard l’élection ne traduit pas le mouvement de ’95. En 2002 il y a un mécontentement à gauche devant la gauche plurielle, et cela se traduit par un deuxième tour à la présidentielle extrême droite contre droite. On voit bien qu’il y a une distorsion extraordinaire entre social et politique et c’est à cela qu’il faut s’attaquer. Donc il s’agit pour moi de tout redéfinir et je trouve que cela ne doit pas nous faire bouder le fait institutionnel mais voir comment le subvertir.

Et le fait qu’il y a des camarades qui gèrent une partie de l’appareil de l’Etat, qui président parfois plusieurs institutions à la fois, cela ne crée pas de contradictions, qui se manifestent par exemple par des grèves contre la gestion municipale de nos propres camarades ?
Je ne dis pas qu’on a résolu le problème. La contradiction existe tant que nous sommes sur cette dissociation du social et du politique. Le politique se trouve dans un d’état d’apesanteur, avec des camarades qui essaient de gérer au mieux, et des mouvements syndicaux qui sont davantage – ce n’est pas péjoratif dans ma bouche – sur le registre de la réclamation que celui de la construction. Est-ce que cela veut dire accéder à l’autogestion à la fois pour les mouvements et pour les élus ? Comment il n’y a pas d’un côté les élus qui essaient de gérer compte tenu des contraintes qu’imposent le capital et l’Etat ? Si on ne touche pas à cela il n’y aura jamais d’élus. Et en même temps s’il n’y a pas un mouvement qui s’approprie progressivement les prérogatives des institutions, qui dit « mais moi je dois pouvoir autant décider que les institutions » et faire en sorte que les élus deviennent une composante d’un tel mouvement populaire – si on n’arrive pas à résoudre cela on aura toujours cette contradiction.Il y a dans Marx des passages formidables où il explique que la dissociation Etat/société civile met les individus dans une situation de déchirement vis-à-vis d’eux-mêmes. Je trouve qu’il y a beaucoup à travailler cette idée.

Revenons à l’actualité. Mélenchon a quitté le PS sur une base assez militante, il me semble. Il y a le projet de fédération des Communistes Unitaires avec Les Alternatifs et d’autres. Il y a le NPA. Quelle est votre stratégie dans cette situation ?
Notre axe stratégique est que nous considérons que ces tentatives – Mélenchon, le NPA – expriment bien que la configuration actuelle des partis politiques est devenue obsolète. Nous sentons que cela répond à un besoin. Mais nous ne pensons pas que la solution soit de morceler des équipes autour d’axes trop étroits. Au final nous nous retrouverions dans une espèce d’éclatement des forces anticapitalistes. Nous pensons qu’à partir du moment où nous travaillons d’une autre manière le rapport mouvements populaires et pouvoirs nous pourrons aller vers la constitution d’une seule formation à la gauche du PS qui revendique son caractère composite. Il y a peu d’exemples dans l’histoire. Cela va même au-delà de Die Linke en Allemagne. Il y a à la fois une unité et une diversité. Cela permet à chacun de rester lui-même, cela permet des confrontations fructueuses en fonction des logiques. Je verrais bien une formation politique large qui réussisse sur l’essentiel à parler d’une seule voix et fasse front devant toutes les échéances y compris électorales, et qui ne soit pas composée uniquement de forces politiques mais aussi de forces issues du syndicalisme et des mouvements associatifs et culturels. Et que tout cela produise du politique. En réalité nous avons besoin les uns des autres, pour réfléchir, pour être nous-mêmes et faire force face au capital et au social-libéralisme.

Une petite formation comme les Communistes Unitaires peut-elle jouer un rôle important dans ce processus ?
Je pense que nous pouvons être utiles du fait de notre histoire et de notre expérience et que nous sommes ouverts à jouer un rôle charnière, mais à aucun moment nous ne pouvons prétendre être l’axe ou le centre de cette construction – pas plus que quiconque. Si cette construction se fait autour d’un axe ou d’une personnalité ou d’un groupe de personnalités unique elle ne verra pas le jour. Dans la réalité le mouvement, la pensée anticapitaliste dans le pays est composite, donc nous devons construire quelque chose de composite. Il ne s’agit pas d’un fourre-tout – la démocratie et la politique, c’est de la tension, de la contradiction et même un peu de bordel pour pouvoir créer du commun. Et pour créer du commun il faut que chacun se sente libre d’être lui-même. Nous ne voulons pas être le centre et nous voulons que personne d’autre ne le soit.

Que dis-tu à ceux qui disent – et je pense que c’est assez vrai – qu’actuellement ceux, surtout les jeunes, qui veulent se battre et pas simplement discuter sont attirés surtout par le NPA ?
Il faut donc le prendre très au sérieux, et non pas le rejeter parce que, par exemple, il serait purement ‘protestataire’ ou ‘dominé par la LCR’, même si je pense que ceux qui y sont doivent défendre une ligne unitaire. Je suis persuadé que ce que tu dis est juste. Quand j’ai évoqué leur position par rapport aux institutions tout à l’heure, je pensais surtout à celle du cœur de la LCR qui y participe. Besancenot y joue quand même un grand rôle. Mais je comprends tout-à-fait ce que peut attirer dans le NPA et je ne le considère pas comme un adversaire ou une formation avec laquelle il ne faut pas avoir de relations. Je ne vois pas la construction d’une formation telle que je la décrivais tout à l’heure sans la participation de ceux qui sont aujourd’hui au NPA. Je le souhaite ardemment. Là où il y a une véritable question, c’est que les Communistes Unitaires ont commencé par être un club de réflexion pour faire pression sur le PC. Nous dépassons cela et la question de l’action est désormais posée. Nous avons commencé à sortir des tracts, à faire des initiatives, à participer aux mouvements. Seulement il ne peut pas y avoir d’un coté la lutte et de l’autre la réflexion. Il faut que nous nous interrogions sur ce qui manque aux luttes, parce que la majorité des luttes ne gagnent pas. Il y en a qui réussissent plus ou moins à défendre mais elles ne transcendent pas, elles ne règlent pas les problèmes.Par exemple, avec la crise, tout le monde dit, c’est la crise du système, c’est le libéralisme, c’est d’avoir détruit l’Etat. Mais notre idée, est-ce vraiment de réclamer le retour de l’Etat – ou une conception démocratique et autogestionnaire des entreprises ou de l’économie ? Prenons les délocalisations. Nous sommes évidemment contre. Mais est-ce que cela doit nous amener à demander aux exploiteurs d’être de bons exploiteurs en France – ou à poser la question de l’entreprise autrement. Il faut être dans les luttes, en repensant le caractère et le contenu.

Ma dernière question est un peu différente. Dans quelle mesure doit-on intégrer, selon toi, la dimension antiraciste et la lutte contre l’islamophobie, qui est une question qui divise beaucoup d’organisations de gauche ?
Pour moi c’est une question fondamentale, et pas pour des raisons de solidarité morale ou charitable. A partir du moment où l’on accepte le moindre rapport de domination, on ne s’arrête pas à ce rapport-là, mais c’est toute la société qui reconduit les rapports de domination. Je pense que la lutte contre le racisme n’est pas seulement une lutte d’équité mais qu’elle est fondamentale par rapport à la conception de la société. Personnellement, je ne serai jamais arabe ou noir (même si je suis assez métissé !) mais je sais que si je vis dans une société où nous n’avons pas tous les mêmes droits, j’en subirai d’une manière ou d’une autre les conséquences, parce qu’il y aura quelqu’un d’autre qui finira par m’imposer des inégalités. Je trouve que le mouvement antiraciste, comme le mouvement féministe et d’une autre manière le mouvement écologiste, apporte quelque chose qui manque au mouvement social traditionnel. Il nous oblige à prendre le problème de la société dans sa globalité et pas par petits bouts.Nous, on parlera peut-être plus en termes de prise en compte de la lutte contre les oppressions – y compris celle des homosexuels, d’ailleurs – et d’un retour à la tradition léniniste sur cette question – Lénine qui a considéré que le parti révolutionnaire devait être le « tribun du peuple » et qui mettait toujours en avant le combat contre le chauvinisme russe. Oui. C’est-à-dire que, au fond, c’est de considérer que l’objectif, le communisme, c’est l’émancipation de chaque humain, qui ne peut être qu’un mouvement global. On ne peut pas émanciper les uns et ne pas émanciper les autres. Ce n’est pas seulement de dire que les gens sont libres, mais qu’ils sont en égalité d’accès aux responsabilités. Prenons comme exemple Saint-Denis, où j’habite. Comme moi !Je ne vais pas te faire un dessin sur la composition de la population ... On ne peut pas dire que l’avenir politique c’est établir de nouveaux rapports entre les mouvements et les institutions et considérer comme normal que la moitié de la population n’ait pas le droit de vote.

Interview réalisé le 18 novembre 2008.

Pourquoi ce blog?

Ce blog a vocation à présenter les analyses, les entretiens et les débats interessants dans une optique de lutte contre les discriminations, et de représentation politique des minorités de notre pays.
Ouvert sur la toile tout d'abord, nous avons vocations à mettre sur une pied une structure associative du nom de Convergence Unitaire.
Cette dynamique est autonome. Vous y trouverez des papiers venant de la gauche de la gauche, aux mouvements les plus libéraux. Pour nous il s'agit de réfléchir et de mener à bien l'intégration de la question des discriminations à l'ensemble du corps social francais.
Bonne lecture à tous et à toutes.